Du 4 au 17 octobre, durant deux semaines, j'ai travaillé à la taqueria. Nous étions deux, avec une camarade de l'école, Salma, à y bosser. L'horaire était d'en moyenne de 10h30 à 19h, sauf les week-ends où on commençait à 12h pour terminer à presque 20h30, avec pour seul jour de congé le jeudi!
Ca a été une expérience d'une telle richesse que je ne peux pas raconter cela en un article. Ce qui m'a le plus marquée ce sont les rencontres avec les autres employés. Le long de ces deux semaines, j'ai eu l'occasion d'apprendre à les connaitre un peu et ils ont partagé certains aspects de leur vie avec mon amie et moi. Quelques unes de ces personnes, issues de milieu moins chanceux que le mien, de culture, d'éducation et valeurs très différentes, avec qui je me suis vraiment rapprochée, moi qui suis de Belgique. Je me suis vraiment rendue compte de l'énorme et rare chance que j'ai. Je dis rare, car malheureusement peu de gens de notre milieu se rendent compte qu'on fait partie d'une élite mineure qui peut se permettre beaucoup de choses dont la grande majorité dans le monde ne se limite qu'à les rêver. Nous vivons dans une bulle entretenue par la société européenne-américaine, où se côtoient des gens du même milieu avantageux, et où la misère et la pauvreté sont invisibles.
Chave fait partie des trois femmes assignée à la cuisine. Ses traits sont sévères et rustres, mais je pense qu'elle porte un masque derrière lequel se trouve une femme qui a vécu beaucoup de choses. Une fois, en plein labeur avec nos tomates vertes, elle a commencé à nous raconter l'aventure d’un de ses fils à la poursuite du rêve américain. Celui-ci avait tenté à 3 reprises d’aller aux Etats-Unis, envers et contre tout, malgré tous les dangers qui se trouvent à la frontière (viols, fusillades, vols, trafiquants de drogue,...). Avec détermination et courage, il a réussi, après une 3e tentative à fouler le sol américain en tant que clandestin (les premières tentatives se sont clôturées par des arrestations de la police et parfois emprisonnement). Il vit maintenant à Los Angeles, où de trouvent près d'un million de mexicains. Il travaille dans la construction et envoie un peu d’argent à sa famille nombreuse composée de 7 frères et sœurs. Elle m'a ensuite montré, avec fierté, quelques photos de ses enfants qu'elle garde toujours précieusement près d'elle.
Aucun des employés n'a déjà eu l'occasion de voyager ou d'aller à l'université. Et dire que la grande majorité dans le monde fait partie de cette dernière élite-là. J'avoue que ce n'est pas évident de se toquer la tête et se dire "Hé toi, malgré tous tes problèmes, regarde la chance que tu as..."
Gaby, âgée de 18 ans, mon âge. Elle est la fille de Cécilia des 3 femmes assignées à la cuisine, employée depuis 12 ans. Elle travaille là depuis ses 16 ans, afin d’attribuer aux frais de la maison et de se payer des études d’infirmière. Un horaire qui envahit sa jeune vie, pour un salaire de misère (elle travaille 6/7 jours, le matin avant d'aller à ses cours l'après-midi, et le week-end). Malgré tout, elle m’a fait comprendre que les employés de la taqueria sont comme sa deuxième famille. Elle prend les choses d’une naturelle décontraction qui me laisse admirative.
Dani, la 3ème femme cuisinière, est maman de 4 enfants de 5 à 18 ans. Toujours de bonne humeur et prête à rire de tout, est d'une compagnie très agréable.
Erik et Chris, âgés de 17 et 18 ans, ont arrêté l'école depuis un bon moment déjà et travaillent là depuis presque 2 ans déjà. Chris va déjà bientôt être père..
Israel et Raul, les plus anciens employés de la taqueria, travaillent là depuis 14 et 9 ans. Israel, très jovial et toujours positif, toujours le sourire aux lèvres, est le père d'Erik, et Raul, généreux, calme et curieux, père d'une petite Jimena d'un an.
Lors de cette expérience, j'en ai profité pour m'exercer à réaliser un reportage, équipée de mon cher appareil photo, et telle une journaliste en herbe, je leur ai posé plusieurs questions, de thèmes différents (la nourriture, leur travail,...). Une fois, je les ai trouvé concentrés autour du livre "Loi Fédérale du Travail" à la recherche d'articles qui pourraient appuyer leurs réclamations lors de la réunion (très occasionnelle, donc rare) qui tournaient principalement autour de leurs repas et de leur salaire.
L'avenir est-il déjà limité dès notre naissance selon le milieu d'où on est issu?
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